Ressources numériques en sciences humaines et sociales OpenEdition Nos plateformes OpenEdition Books OpenEdition Journals Hypothèses Calenda Bibliothèques OpenEdition Freemium Suivez-nous

Mémoires d’archéologues. Chap. 25, Sophie François, archéologie(s) et territoire(s)

Dans le cadre de la série Mémoires d’archéologues, nous avons rencontré et échangé avec Sophie François, archéologue et directrice de la Maison de l’Archéologie du Département du Pas-de-Calais. À l’aube d’un changement professionnel, elle a accepté de partager avec nous souvenirs et anecdotes qui ont jalonné son parcours professionnel.

Cette interview a été conduite par Thomas Byhet, Karine Delfolie, Géraldine Faupin et Philippe Hannois (DRAC Hauts-de-France, Pôle patrimoines et architecture, Service régional de l’archéologie), à la DRAC, le 24 février 2023.

L’article qui en découle a été retranscrit par Karine Delfolie et Géraldine Faupin. Il a été corrigé et finalisé par Thomas Byhet et Karine Delfolie, puis validé par Sophie François.

Avertissement : nous avons délibérément décidé de garder un style oral à cette interview afin de rester dans l’esprit de la série.

Sophie François (à droite) et Géraldine Faupin (à gauche) lors de l’enregistrement de l’interview le 24 février 2023 (Crédits de la photographie : Thomas Byhet, SRA Hauts-de-France, 2023)


Quelle est l’origine de votre vocation en archéologie ?

Je suis originaire de Franche-Comté. Dans mon milieu familial, on a toujours fréquenté les musées et voyagé en visitant des sites archéologiques. J’ai toujours baigné dans cette culture, mais, petite, je n’avais pas cette passion de l’archéologie.

J’ai eu envie d’en faire dès mon entrée au lycée, en seconde. Je suis quelqu’un de pragmatique, qui a besoin de concret, et lorsque j’ai participé à mes premières fouilles archéologiques, je me suis dit que c’était vraiment ce que je voulais faire : effectivement, j’ai travaillé avec le paléontologue Patrick Paupe en tant que bénévole quasiment tous les samedis de mes années de lycée. Il s’agissait du site de Romain-la-Roche (Doubs) qui est un aven sous roche qui a piégé un certain nombre d’éléments de faunes paléolithiques. C’était essentiellement du tri de micromammifères et aussi du traitement d’ossements qu’il fallait consolider. À l’époque, on utilisait de la colle rhodopas et on n’avait pas non plus de masque : ça ne sentait pas très bon !

Très tôt l’archéologie m’a intéressée, parce que je trouvais que c’était un métier bicéphale : avec une partie de terrain, mais aussi d’analyse, et cet aspect m’a tout de suite plu. C’est donc devenu très vite une évidence d’entreprendre des études en archéologie. J’ai suivi un parcours assez classique à l’université de Paris 1 : au départ, j’ai suivi une licence à dominante préhistoire, ensuite une maîtrise et un diplôme d’études approfondies en archéologie médiévale pour suivre l’enseignement en archéologie nautique d’Éric Rieth, directeur de recherche au CNRS.

Je voulais me spécialiser en architecture navale. J’ai donc consacré ma maitrise à la construction des pirogues de Midi-Pyrénées. Pour mon DEA, je me suis davantage orientée vers l’ethnoarchéologie. En même temps, j’ai continué à travailler sur la construction des pirogues sur l’île de la Dominique dans les Antilles françaises.

Durant toute cette période d’étude, j’ai participé à beaucoup de stages en tant que bénévole. J’en cumulais près de 4 mois par an et ces stages couvraient toutes les périodes chronologiques. Ils se déroulaient dans toute la France, en archéologie terrestre, subaquatique et sous-marine. Dans le même temps, j’ai pu bénéficier, grâce au DRASSM (Ministère de la Culture), c’est-à-dire le Département des recherches d’archéologie sous-marine (à l’époque, il n’y avait qu’un S), de subventions pour passer des certifications de plongée professionnelle. Avec un classe 1B puis un classe 2B, je peux fouiller en sous-marin jusqu’à 60 m de profondeur.

Mes premiers chantiers rémunérés l’ont été sur des sites subaquatiques. L’un d’entre eux s’est déroulé sur le site médiéval de Charavines (Isère). Pendant deux années, j’ai été responsable de l’organisation des plongées. Les archéologues Michel Colardelle et Éric Verdel étaient co-responsables de la fouille. Puis d’autres contrats sont arrivés, essentiellement avec le DRASSM, sur des opérations sous-marines, comme celle effectuée sur le port antique de Narbonne (Aude).

Après mon DEA, j’ai choisi de partir en Guyane française pour des raisons professionnelles, mais également personnelles. J’ai eu différents contrats avec le Service régional de l’inventaire et j’ai continué à travailler sur la construction navale. La Guyane a la particularité d’avoir un riche réseau fluvial et des communautés pour lesquelles le fleuve – et, par conséquent, la navigation fluviale – est un moyen important de communication, d’échanges et de transport. J’ai fait un premier travail pour l’écomusée de l’Approuague, à Régina. Cet écomusée a pris de l’ampleur aujourd’hui. J’ai également bénéficié d’une bourse de recherche de la mission du patrimoine ethnologique du Ministère de la Culture pour travailler sur les fleuves Approuague et Maroni.

Puis, en 2000, j’ai été recrutée en tant que technicienne d’opération à l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). Cet institut, en effet, recrutait à l’époque des techniciens, puisqu’il y avait des fouilles préventives importantes sur l’île de Cayenne et sur des sites coloniaux et amérindiens. Puis, en février 2003, les budgets de l’Inrap se sont taris et les contrats des techniciens n’ont pas été renouvelés. J’avais un certain nombre de collègues que j’avais rencontrés lors de stages qui avaient fait le choix des collectivités territoriales et qui avaient passé des concours. J’ai décidé que cette année de chômage me permettrait de préparer les concours de la fonction publique territoriale pour intégrer ces collectivités. J’ai donc passé le concours d’assistante de conservation, puis celui d’assistante qualifiée que j’ai obtenu.

J’ai choisi ensuite de revenir en métropole avec un premier contrat de technicienne d’opération dans le Douaisis. Puis très vite, pour valoriser mon concours, j’ai postulé sur le premier poste qui a été ouvert et qui correspondait à mon grade : celui du Département du Pas-de-Calais. C’était un poste de médiation et de valorisation des collections : cet aspect illustre bien cette part bicéphale que j’évoquais tout à l’heure et qui m’intéresse particulièrement dans le métier d’archéologue.  


Vous vous êtes spécialisée dans l’archéologie subaquatique. Que vous a apporté cette discipline ?

Quand on est sous l’eau, la communication est réduite. On ne peut pas se parler et sur des opérations qui sont en grande profondeur – j’ai fouillé jusqu’à 56 m – les plongées sont très courtes : c’est 20 minutes par jour au fond et 20 minutes sur le site, et il faut être extrêmement organisé. Ce côté « organisé », c’est vraiment quelque chose qui m’est resté. Ensuite, tout doit être anticipé et préparé. Une fois au fond, il n’est pas question de se dire « Ah ! J’ai oublié ma mire ou mon appareil photo ! » et de remonter à la surface. L’archéologie subaquatique m’a permis, je pense, d’améliorer cette compétence-là. En plus, elle nécessite beaucoup de technicité et, donc, de nombreux échanges en amont et en aval. La transmission de communication pour délivrer des informations entre groupes de plongeurs qui se succèdent est particulièrement importante. Toutes les fouilles sur lesquelles j’ai travaillé en tant que jeune professionnelle et sur lesquelles j’étais contractuelle ont compté parce qu’elles m’ont permis, finalement, d’avoir un jour l’espoir d’obtenir un contrat pérenne.

J’aimerai vous citer en exemple la fouille de la Tour Fondue, au large de Hyères, dans le Var, site sur lequel une épave grecque du IIIe siècle avant Jésus-Christ a été étudiée. Cette fouille était dirigée par Bernard Dangréaux, qui est aujourd’hui un ami, et pour lequel j’ai été son adjointe. L’épave était située à une vingtaine de mètres de profondeur. Nous avons effectué le relevé de la coque et prélevé un élément de bordé ainsi qu’une ancre particulièrement bien conservée. La publication de cette fouille est l’une des premières à laquelle j’ai participé.

Lors de ma prise de poste au Département du Pas-de-Calais, j’ai aussi eu la chance de pouvoir travailler à nouveau avec Éric Rieth qui menait alors des campagnes de fouilles programmées sur deux épaves enfouies dans la Canche (Pas-de-Calais) : l’une à Beutin, sur un caboteur du XVe siècle, et l’autre à Bréxent. J’ai pu intégrer son équipe une semaine par an, pour fouiller et réaliser les relevés d’architecture et les prélèvements de fragments de coque.

Relevé subaquatique de l’épave de Beutin (Pas-de-Calais) dans la Canche par Sophie François en 2008 (Crédits de la photographie : Étienne Champelovier, DRASSM, 2008)


Pouvez-vous nous évoquer le début de votre parcours dans les services du Département du Pas-de-Calais ?

Je suis arrivée le 16 mars 2005, il y a 18 ans. À l’époque, le Département avait pour projet de construire un musée départemental de Préhistoire dans l’abbaye Saint-Vaast, à Arras : le travail sur les collections m’intéressait. Pour des raisons politiques, le projet a été abandonné peu de temps après mon arrivée. J’ai alors envisagé de quitter le Département.

Mais le président du Département a fait le choix, en 2007, de doter le Centre départemental d’archéologie d’une nouvelle mission en archéologie préventive. Dans l’équipe, dirigée par Jean-Luc Marcy, j’étais l’une des plus expérimentées grâce à mes contrats à l’Afan (Association française pour l’archéologie nationale) et à l’Inrap. J’ai rapidement été chargée de l’organisation logistique du nouveau service. Le périmètre d’action était vaste : il consistait en l’achat de pelles ou de brouettes, mais il pouvait s’agir aussi de passer des marchés publics de terrassement ou de toilettes, par exemple. J’ai alors découvert le monde mystérieux de la commande publique, monde que je continue à découvrir chaque jour. C’était une construction de toutes pièces : Jean-Luc Marcy m’a offert une très belle opportunité en accédant à ce poste.

Lorsque j’ai été recrutée en 2005, nous étions 7 : c’était une toute petite équipe centrée sur la médiation. Puis, en 2007, il y a eu le recrutement des premiers archéologues départementaux et celui des techniciens ensuite : nous sommes passés de 7 à 30 en 2 ans environ. De 2007 à 2009, j’ai été à la fois technicienne sur les opérations, puis responsable d’opérations. C’était un moment très enthousiasmant.

Vue du diagnostic archéologique mené en 2008 à Escalles (Pas-de-Calais), sur le Mont Hubert : Sophie François à droite sur la photographie (Crédits de la photographie : Direction de l’archéologie du Département du Pas-de-Calais, 2008)

Puis, en 2009, en raison de cette croissance d’effectifs, Jean-Luc Marcy a choisi de structurer la direction en créant 3 services : un service d’archéologie préventive, un service des archives du sol et un service de la médiation archéologique. Il m’a été proposé la responsabilité de cheffe du service des archives du sol. J’ai mentionné tout à l’heure mon attrait particulier pour la question des collections archéologiques et de la conservation : j’ai donc accepté cette proposition. Dans le même temps, Jean-Michel Willot est devenu chef de service de l’archéologie préventive, poste qu’il occupe toujours aujourd’hui, et Julie Lamart-Lulé est devenue cheffe du service de la médiation archéologique.

En 2016, Jean-Luc Marcy, qui était directeur de l’archéologie, est nommé directeur général adjoint du pôle réussite citoyenne, un pôle qui comprend l’archéologie, mais aussi les directions de l’éducation et des collèges, des archives départementales et des affaires culturelles. Je suis alors devenue directrice de la Maison de l’Archéologie du Département du Pas-de-Calais


Comment s’est construite
la Maison de l’Archéologie ?

La Maison de l’Archéologie s’est construite en deux temps. Deux besoins ont vu le jour au même moment.

Le premier était un besoin d’espace adapté aux nouvelles missions de l’archéologie préventive pour exercer les métiers puisqu’on est passé de 7 à 30 archéologues sans avoir de mètres carrés supplémentaires. De plus, nous étions répartis sur quatre sites différents. Même s’il y avait une proximité de certains bâtiments, le fait d’être dispersés sur quatre sites était problématique. Il y avait vraiment un besoin d’avoir un lieu unique adapté à nos missions de recherche.

En parallèle, en 2008, le Ministère de la Culture invente un nouveau concept : celui de centre de conservation et d’études archéologiques (CCE) afin de mieux gérer les collections archéologiques. Ce second besoin avait déjà été identifié par Jean-Luc Marcy et Stéphane Révillion, alors conservateur régional adjoint au Service régional de l’archéologie Nord-Pas-de-Calais. Une première analyse des lieux de conservation pour toute la région, et particulièrement le Pas-de-Calais, avait été réalisée. Cette étude avait donné lieu à une cartographie qui avait montré une multiplicité de lieux gérés soit par des collectivités, soit par des associations. Il y avait aussi des lieux non gérés comme des algecos dans lesquels étaient conservées des collections telles que celles de Thérouanne. C’est aussi ce besoin de conserver les collections croissantes issues de l’archéologie préventive qui a été moteur dans ce projet.

Signature de la convention de gestion partenariale du CCE du Pas-de-Calais en 2011 : au premier plan, Pierre Bousquet, préfet du Pas-de-Calais, Dominique Dupilet, président du Département du Pas-de-Calais, Thérèse Guilbert, vice-présidente en charge de la Culture – au second plan, Stéphane Révillion, conservateur régional de l’archéologie Nord-Pas-de-Calais, Simon-Pierre Dinard, directeur régional adjoint des affaires culturelles Nord-Pas-de-Calais, Françoise Rossignol, maire de Dainville, et Jean-Luc Marcy, directeur de l’archéologie du Département du Pas-de-Calais (Crédits de la photographie : Sophie François, Direction de l’Archéologie du Département du Pas-de-Calais, 2011)

Il y a donc convergence entre plusieurs faits : le Département avec cette nouvelle équipe agrandie, qui a besoin d’avoir un lieu unique, le Ministère de la Culture qui subventionne les nouveaux centres de conservation et d’études, et le Département qui conservait déjà des collections préhistoriques et avait des moyens d’investissement assez conséquents. Ces trois facteurs ont abouti à ce que le Département soit parmi les premiers à avoir bénéficié d’une subvention sur le projet de création d’un CCE.

Le bâtiment va être construit en 2 phases, mais celles-ci ont été intégrées dès le lancement du concours d’architecte. Dans un premier temps, le centre de conservation et d’études a vu le jour, avec notamment trois grandes salles de conservation pour les mobiliers inertes, trois petites salles pour les mobiliers spécifiques métaux, les matières organiques, les archives papier et photographiques et une chambre froide. Le CCE était à peine achevé que des budgets étaient votés pour la partie consacrée à la Maison de l’Archéologie avec sa salle d’exposition temporaire et ses bureaux pour l’ensemble de la direction. Une première inauguration a eu lieu en octobre 2013 pour la partie CCE et une seconde en janvier 2016 pour la Maison de l’Archéologie.

Quelles ont été les conditions d’émergence de cette Maison ?

Dès l’origine, c’était un projet conçu en partenariat avec le Service régional de l’archéologie, et notamment le conservateur régional adjoint. J’ai également beaucoup travaillé à cette époque avec Marion Audoly, conservatrice du patrimoine en charge des mobiliers archéologiques au sein du SRA. On travaillait vraiment tous dans une même direction. Et puis il y avait aussi une vraie volonté politique de la part du Département de valoriser ses collections. C’est vraiment la convergence d’idées qui a extrêmement bien fonctionné.

Visite du CCE en janvier 2014 : de gauche à droite, Jean-Luc Marcy, directeur de l’archéologie du Département du Pas-de-Calais, Stéphane Révillion, conservateur régional de l’archéologie Nord-Pas-de-Calais, et Sophie François (Crédits de la photographie : Direction de l’Archéologie du Département du Pas-de-Calais, 2014)

Il y a eu aussi un parallélisme qui a été fait très tôt sur le nommage des différentes entités : notre service a été nommé « service des archives du sol » en parallèle avec le « service des archives départementales ». En effet, les archives départementales sont une compétence obligatoire du Département : elle est donc bien connue des élus. On est sur une proximité de métiers : on conserve les collections archéologiques dans des conditions particulières : on doit les restaurer, les inventorier, les récoler et les mettre à disposition du public. On est sur des parallèles qui ont simplifié l’appropriation par les élus de ces nouvelles missions. Et enfin, il y a eu une volonté politique des élus de l’époque d’ancrer aussi la culture comme une mission prioritaire du Département.

Notre cahier des charges a été conçu de manière très précise en interne, avec l’appui de collègues programmistes rompus à la création d’équipements, tels que des collèges par exemple. Par ailleurs, nous avons visité un certain nombre de dépôts de mobiliers archéologiques en France : par exemple, celui de Soissons, mais aussi celui du Service régional de l’archéologie de Lorraine, à Metz, et celui d’Archéologie Alsace, qui s’appelait à l’époque le Pôle d’Archéologie Interdépartemental Rhénan (PAIR), l’équipement mutualisé avec les archives du Département des Yvelines pour bien comprendre ces lieux et échanger avec les équipes sur les difficultés et sur la manière dont ils avaient envisagé la conception de leurs locaux. Nous sommes également allés visiter des opérateurs privés. Tous ces échanges ont été extrêmement riches.

Vue de la Maison de l’Archéologie en cours de construction (Crédits de la photographie : Sophie François, Direction de l’Archéologie du Département du Pas-de-Calais)

Toute la phase des travaux a été également suivie en interne. Il faut aussi évoquer le cabinet d’architecture Alzua +, à Lille, avec lequel nos échanges ont été extrêmement riches. Ils étaient vraiment à l’écoute et on a pu échanger de manière poussée sur les plans notamment. Pour ma part, aujourd’hui, je ne changerai rien à l’architecture du bâtiment et je pense que c’est un avis partagé dans l’équipe. Il y a des choix intéressants qui ont été pris : par exemple, des vitrages pour avoir de la lumière indirecte dans les couloirs. C’est un bâtiment qui est extrêmement lumineux, entièrement de plain-pied, donc sans aucune marche, et avec un béton quartzé lissé. Les chariots chargés de mobilier archéologique se déplacent sans problème. On est sur un bâtiment très quadrangulaire : les circulations sont fluides et toute la chaîne opératoire de travail a été bien respectée.

Vue de la Maison de l’Archéologie et du Centre de conservation et d’études du Département du Pas-de-Calais, à Dainville (Crédits de la photographie : Direction de l’Archéologie du Département du Pas-de-Calais, 2015)

Nous avons fait aussi le choix d’avoir des lieux qui ne sont pas forcément obligatoires dans les CCE : je pense ainsi aux laboratoires. Le Département a beaucoup investi dans l’équipement scientifique : nous possédons, par exemple, un laboratoire d’analyses avec microscope polarisant, des étuves pour préparer les C14 ainsi qu’un laboratoire de restauration.


Inauguration de la Maison de l’Archéologie le 18 juin 2016 : au premier plan Françoise Rossignol, maire de Dainville, et Michel Dagbert, président du Département ; à l’arrière-plan, Jean-Luc Marcy et Sophie François (Crédits de la Photographie : Direction de l’Archéologie du Département du Pas-de-Calais, 2016).


Comment avez-vous bâti votre équipe ?

Quand j’ai pris la suite de Jean-Luc Marcy, l’équipe était déjà constituée, mais je n’avais pas tout à fait conscience de toutes les implications du poste de directrice et ça a été une découverte dans tous les domaines : les finances, les marchés publics, les ressources humaines et y compris, effectivement, la conception d’une équipe pérenne et j’avoue qu’au moment de mon départ c’est l’une de mes fiertés.

Par ailleurs, et tout le monde ne sera peut-être pas forcément d’accord avec moi, j’estime que nous avons eu la chance de recruter dès 2007 une équipe relativement jeune et qui comprenait notamment beaucoup de spécialistes qui avaient un master 2 et une ou deux années d’expérience. Ce qui pourrait sembler une faiblesse au départ a été finalement un atout.

Nous avons également l’avantage de pouvoir bénéficier au sein des équipes du Département de spécialistes : une direction des affaires juridiques, une direction de la commande publique, une direction des systèmes informatiques etc., sur lesquelles nous pouvons nous appuyer. Ce réseau de collègues fait que le fonctionnement est fluide.

Je pense aussi qu’une des particularités de la direction de l’archéologie est d’avoir recruté très tôt une restauratrice dans l’équipe. C’est d’ailleurs un poste de régisseuse et restauratrice. Aujourd’hui, ce poste est occupé par une spécialiste de la restauration des céramiques et verres. Ce choix est extrêmement judicieux, à la fois pour les équipes d’archéologie préventive – puisqu’on peut intervenir très tôt sur le terrain et ainsi préserver les collections – mais aussi pour notre mission de médiation. En effet, elle intervient en restauration sur des objets qui vont être présentés dans les expositions temporaires que nous organisons. C’est vraiment un atout ! 

Enfin, si nous acceptons toujours de former des stagiaires, notre politique est de leur proposer des sujets d’études sur les collections que nous conservons : l’étudiant participe ainsi directement au rapport de fouille. Il pourra aussi participer ultérieurement à la publication des résultats ou à une communication lors des journées régionales de l’archéologie ou lors de colloques. Ce qui a pour avantage que l’étudiant soit intégré dans un collectif de recherche. De cette manière, il appréhende au plus près le métier d’archéologue. Donc, nous avons souhaité améliorer l’accueil des stagiaires en leur proposant des périodes de stage plus longues. Il y a vraiment une volonté de l’ensemble de l’équipe d’accueillir ces nouveaux professionnels et de les encadrer : c’est là, je pense, une des missions du service public et ce, d’autant plus que pour nos élus, la jeunesse est une priorité.

Ce que je regrette, c’est qu’il n’y ait pas de formation en archéologie en alternance, surtout dans les Hauts-de-France, où il y a de nombreuses collectivités territoriales et des opérateurs privés aussi. Si cette formation existait, il y aurait davantage d’étudiants qui pourraient être salariés et ainsi avoir une formation professionnalisante. C’est une évolution que j’appelle de mes vœux. Nous sommes d’ailleurs plusieurs à la souhaiter.

D’ailleurs, je me permets de formuler une remarque : aujourd’hui, en tant que directrice, je suis toujours perplexe de recevoir des CV d’étudiants qui ont un bac +5 en archéologie et qui, dans les faits, n’ont aucune expérience de terrain. Au Département, lorsqu’on accueille des étudiants, on leur conseille toujours d’acquérir cette expérience. Je ne connais pas réellement la raison de cet état de fait : est-ce la professionnalisation de l’archéologie qui a pour conséquence la baisse de chantiers programmés sur lesquels ils pourraient se former ? Ou est-ce une certaine distanciation des étudiants vis-à-vis de la réalité du métier ? La question est ouverte ! En tous cas, pour ma part, je pense que les quatre mois de terrain que j’ai effectués chaque année, plus jeune, et, par conséquent, cette accumulation d’expériences variées pendant mes études m’ont aidé à arriver là où j’en suis aujourd’hui.

En quoi la médiation est-elle une mission importante dans la Maison de l’Archéologie ?

Cette mission de médiation archéologique a été prise en compte très tôt. Au départ, le Département du Pas-de-Calais avait pour mission la conservation des collections. Puis, très vite, la mission de médiation a vu le jour. Et, enfin, la mission en archéologie préventive n’est arrivée que près de 10 ans plus tard.

Médiation archéologique sur le terrain lors du diagnostic de Dainville en 2011 : Sophie François à gauche de la photographie (Crédits de la photographie : Direction de l’Archéologie du Département du Pas-de-Calais, 2011)

Initialement, cette médiation était uniquement itinérante et principalement à destination des collégiens du Pas-de-Calais. Grâce à la Maison de l’Archéologie et à sa salle d’exposition temporaire, nous pouvons aujourd’hui accueillir le public pour chacune des expositions que nous organisons sur une période d’un peu plus de 9 mois, des journées européennes du patrimoine jusqu’aux journées européennes de l’archéologie.

Vernissage de l’exposition « En quête de notre passé » à la Maison de l’Archéologie du Département du Pas-de-Calais, le 16 septembre 2016 : Sophie François, à l’arrière-plan, à gauche (Crédits de la photographie : Direction de l’Archéologie du Département du Pas-de-Calais)


Vous êtes la directrice de cette Maison : en tant que femme, croyez-vous que le management s’exerce différemment ?

La réponse va peut-être paraître curieuse, mais non ! En tant que femme, je n’ai eu aucun problème. Autant j’ai pu en souffrir en étant plus jeune, mais, sincèrement, depuis des années, la question ne se pose pas. Elle s’exprime peut-être en sens inverse, au niveau de la parité de l’équipe. Quand on parle de parité, il faut aussi qu’elle soit équivalente dans l’autre sens : en effet, nous sommes une équipe très féminisée et nous essayons d’équilibrer cet état de fait. Nous pensons que c’est plus intéressant pour le développement de notre équipe d’atteindre un certain équilibre paritaire. Par ailleurs, dans la gestion d’une équipe, et sans vouloir faire de jeunisme, je pense qu’il faut veiller à la moyenne d’âge : le recrutement de collègues plus jeunes permet une transmission des compétences et à terme une pérennité de l’équipe.


Vous êtes directrice d’une institution, vous considérez-vous toujours comme archéologue ?

Je me considère toujours comme archéologue, tout simplement parce que c’est ma formation initiale, même si aujourd’hui je fais plus de management et de pilotage. Je n’ai pas envie qu’on me mette l’étiquette de manager, même si j’ai suivi des formations continues, mais ce n’est pas mon premier métier, c’est ma fonction actuelle. Je suis une archéologue qui dirige une équipe.

Sophie François lors du diagnostic archéologique du Collège Belrem à Beaurainville (Pas-de-Calais) en 2012 (Crédits de la photographie : Direction de l’Archéologie du Département du Pas-de-Calais, 2012)

Ça pose une question : quelles formations doivent avoir les directeurs ? Il n’y a probablement pas de solution unique. Je pense à des collègues d’autres régions qui ne sont pas du tout issus de la filière archéologique. Moi, je pense que c’est quand même un avantage : ça a peut-être ses inconvénients, parce que on n’est peut-être pas les meilleurs managers du monde, mais le management ça s’apprend ! Quand on me pose la question : quel est mon métier aujourd’hui ? Je réponds archéologue. Effectivement, je ne vais plus sur le terrain, mais j’encadre l’équipe et j’accompagne des projets de recherche et des projets d’exposition temporaires.

De quoi êtes-vous la plus fière dans votre carrière au sein du Département ?

L’action dont je suis très fière, c’est évidemment la conception de la Maison de l’Archéologie et du centre de conservation et d’études : c’est une étape importante dans une carrière ! Je pensais que ça n’arriverait qu’une fois, mais l’avenir montrera peut-être que non : des opportunités s’ouvriront peut-être à la ville de Lyon. C’est d’ailleurs un projet qui est beaucoup plus ambitieux que la construction du bâtiment : en plus de toutes les missions qu’on y mène, il faut également construire tous les partenariats nécessaires à la conduite des projets.

L’autre fierté, c’est aussi d’accompagner les plus jeunes dans l’acquisition de compétences. Il y a des collègues qui sont arrivés au Département en tant que techniciens et qui sont aujourd’hui responsables d’opérations et archéologues départementaux. Je trouve que cette transmission des compétences est extrêmement gratifiante et intéressante.


Quel regard portez-vous sur le parcours que vous avez mené jusqu’à présent ?

Une carrière est faite d’opportunités professionnelles que j’ai essayé de saisir au fur et à mesure. Chaque poste a ses difficultés. En 18 ans dans le Pas-de-Calais, j’ai occupé trois postes différents et moi j’ai besoin de cette diversité. C’est pour cela qu’aujourd’hui je souhaite partir vers d’autres horizons.


À la veille de votre départ, comment entrevoyez-vous votre avenir professionnel ?

L’histoire de la ville de Lyon est complètement différente : c’est un service qui a 90 ans et qui est donc très ancré dans la ville.  Pour autant, la question de la conservation des collections n’y a jamais véritablement été résolue. J’ai exprimé cette nécessité d’améliorer les conditions de conservation lors de mon entretien et je pense que mon expérience au sein du Département du Pas-de-Calais concernant spécifiquement cette mission a pesé dans mon recrutement. Je vais donc me consacrer pleinement à cette priorité, tout en assurant encore des missions de management. Par ailleurs, le service de la ville de Lyon est organisé complètement différemment : il y a un directeur adjoint qui s’occupe de l’archéologie préventive. La seconde différence est que le territoire possède de nombreux monuments historiques, ce qui accroit les opérations d’archéologie du bâti. De plus, d’importants projets urbains sont en gestation, notamment une nouvelle ligne de métro, ce qui induira une augmentation de l’activité du service archéologique. Il est certain que ce nouveau poste sera complètement différent, mais je pourrais peut-être revenir dans 18 ans !

Sophie François lors de l’interview, le 24 février 2023 (Crédits de la photographie : Thomas Byhet, SRA Hauts-de-France, 2023)

 


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Nordoc'Archéo (17 mai 2024). Mémoires d’archéologues. Chap. 25, Sophie François, archéologie(s) et territoire(s). Nordoc'Archéo. Consulté le 12 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/11omd


Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.