Un hôtel particulier du XVe siècle à Valenciennes. Premiers résultats de la fouille de l’arsenal
Cet article a été rédigé par David Delassus, Archéologue, Service archéologique de Valenciennes, avec la collaboration de Laëtitia Deudon, Archéologue assistante – chargée d’études documentaires, Service archéologique de Valenciennes.
Le site de l’arsenal, fouillé par le service archéologique municipal de Valenciennes, est localisé au centre de la ville actuelle, dans une ancienne zone marécageuse située en rive gauche du paléochenal de l’Escaut. Ce secteur a été intégré au périmètre fortifié de la ville à partir de la seconde moitié du XIIe siècle avec la construction d’une nouvelle enceinte urbaine sous l’impulsion du comte Baudouin IV de Hainaut.
L’habitat du XIVe siècle.
Pour autant, l’urbanisation du quartier paraît assez tardive puisqu’elle ne semble débuter que dans la seconde moitié du XIIIe siècle ou au siècle suivant. C’est alors que fut bâti un ensemble d’habitations à ossatures de bois reposant sur des fondations légères, solins ou murs bahuts en grès eux-mêmes posés sur des hérissons de craie et de silex. Ces édifices pouvaient être divisés en plusieurs pièces dotées de sols en terre battue, de foyers et dans un cas d’un petit four, ce qui semble traduire une spécialisation des espaces dans les bâtiments les plus grands (fig.1). Une grande cuve de tanneur en bois, maçonnée dans sa partie supérieure, prenait place à quelques mètres seulement des habitations et rappelle la vocation artisanale du quartier (fig.2).
Fig.1 : Bâtiment sur fondations légères avec, au premier plan, un foyer en tuiles associé à un sol en terre battue © SAMV
Fig.2 : Crochet en fer au fond de la cuve de tanneur © SAMV
L’hôtel de Beaumont.
À la fin du Moyen Âge, l’organisation de cet îlot d’habitation est bouleversée par la construction ou la reconstruction d’une grande résidence aristocratique, l’hôtel de Beaumont. Cet hôtel, bien que mentionné par les textes dès 1311[1], ne devient archéologiquement visible qu’au XVe siècle. Il est alors la propriété des ducs de Bourgogne et est occupé par la famille de Lannoy. C’est sans doute entre ces murs que naquit vers 1487, Charles de Lannoy, futur vice-roi de Naples et vainqueur de François 1er à Pavie.
A cette époque, l’hôtel se composait d’au moins trois bâtiments encadrant une cour distributive pavée de grès (fig.3, bâtiments A, C et K et fig.4).
Fig.3 : Plan de l’hôtel de Beaumont d’après les premiers résultats de la fouille et des recherches archivistiques © SAMV
Fig.4 : Pavage en grès de la cour centrale © SAMV
Le bâtiment C, situé en fond de cour et donc en retrait de la rue, correspondait probablement au corps de logis du fait de ses dimensions, environ 350 m² au sol, et des matériaux utilisés, grès et craie pour les parements extérieurs (fig.5 et 6). L’édifice reposait en partie sur un réseau de caves couvertes de voûtes en berceau ou d’arêtes, accessibles depuis l’extérieur par deux escaliers (fig.7 et 8). La stabilité de l’ensemble était assurée par de puissantes fondations en gradins et de nombreux contreforts. Malgré le caractère ostentatoire de cette architecture, les aménagements restent relativement austères en rez-de-chaussée : sols en terre battue ou en briques, cloisons en briques ou en terre.
Fig.5 : Vue du bâtiment C en cours de fouille © SAMV
Fig.6 : Mur pignon nord du bâtiment C © SAMV
Fig.7 : Cave sous le bâtiment C © SAMV
Fig.8 : Escalier d’accès aux caves © SAMV
Le second bâtiment (fig.3, bâtiment A), plus modeste, est composé de trois pièces en enfilade couvrant une surface de près de 110 m² (fig.9). Les deux plus grandes disposaient d’une cheminée en pierre à piédroits moulurés, et de sols en briques disposées en chevrons dans leur état du début du XVIe siècle (fig.10). Les refends prenaient ici la forme de simples cloisons en torchis, blanchies à la chaux.
Fig.9 : Vue du bâtiment A, le pavage de briques de la pièce centrale a été récupéré © SAMV
Fig.10 : Cheminée et sol en briques, XVe – début du XVIe siècle © SAMV
Depuis la pièce centrale, un canal d’évacuation des eaux usées était relié à une fosse maçonnée à fond perdu, profonde de près de trois mètres, et utilisée parallèlement comme cuve de latrines et dépotoir. En son sein, quelques objets découverts sont particulièrement révélateurs du statut social de ses utilisateurs. Il s’agit notamment d’un grand plat à venaison en étain sur lequel figurent les armoiries de Guillebert de Lannoy (1386-1462), écrivain et diplomate au service de Philippe le Bon (fig.11), ou encore d’un fragment de chaussure en cuir gaufré représentant une scène de chasse, pratique aristocratique par excellence (fig.12).
Fig.11 : Plat à venaison en étain, XVe siècle © SAMV
Fig.12 : Fragment de chaussure décoré d’une scène de chasse, XVe siècle © SAMV
A la jonction des bâtiments A et C, un ensemble de plots de fondations dessinent une construction polygonale hors-œuvre, très probablement une tour d’escalier à pans de bois permettant l’accès aux étages depuis la cour centrale. Enfin, le bâtiment K, dont seule une petite partie de la façade en grès a été reconnue, était disposé perpendiculairement au bâtiment C et fermait la cour au sud. Les sources archivistiques permettent d’envisager l’existence d’une troisième aile ou a minima d’un mur de clôture le long de la rue de la Tasnerie. Un jardin, en partie planté de vignes, s’étendait semble-t-il à l’ouest de l’hôtel.
Ainsi l’hôtel de Beaumont témoigne de l’adoption à Valenciennes, et ce dès la fin du Moyen Âge, de la formule classique de l’hôtel particulier « entre cour et jardin » avec logis orthogonaux articulés autour d’une cour centrale pavée. À la fin du XVe siècle ou au début du siècle suivant, le visiteur accédait à la demeure par la rue de la Tasnerie, et débouchait ensuite dans la cour face à une façade d’une quarantaine de mètres de longueur formée par les gouttereaux des bâtiments A et C, l’entrée principale devait prendre place dans un des pans de la tour d’escalier qui permettait sans doute un accès direct à l’étage noble de la résidence. Cette organisation d’ensemble de l’hôtel renvoie à un modèle architectural qui se développe au XVe et se rencontre dans la conception de nombreuses demeures privilégiées comme l’hôtel des abbés de Cluny à Paris ou encore le palais de Jacques Cœur à Bourges.
L’arsenal
En 1737, l’hôtel, alors connu sous le nom d’hôtel de Maingoval, est détruit pour céder la place à l’arsenal, grand bâtiment rectangulaire à deux vaisseaux. C’est peut-être à cette époque qu’une des caves du XVe siècle est transformée en four à briques (fig.13). Malheureusement, peu de données nous sont parvenues quant à l’occupation militaire des lieux, si ce n’est un important ensemble de pierres à fusil brûlées découvert dans un puits. Cet édifice brûla lors du siège de la ville par les armées contre-révolutionnaires en 1793 avant la construction de l’arsenal actuel au début du XIXe siècle.
Fig.13 : Four à briques aménagé dans une des caves médiévales © SAMV
Merci à toute l’équipe : Nicolas Méreau-Leroy, Audrey Procureur, Martin Laugero, Hélène Poirier, Coralie Favero, Maxence Flament, Alice Bulckaen, Marie Huin, Maïwenn Barrial, Elodie Di Rosso, Arnaud Tixador, Patrice Korpiun, Joséphine Van der Voort.
[1] A.M.V. Werps de la Tannerie, répertoire.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Corinne HÉLIN (30 juin 2021). Un hôtel particulier du XVe siècle à Valenciennes. Premiers résultats de la fouille de l’arsenal. Nordoc'Archéo. Consulté le 5 octobre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/sewv
